Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/264

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me dit qu’il avait appris que j’avais un ecclésiastique et que j’avais marié par son office les Anglais avec les femmes sauvages qu’ils nommaient leurs épouses, et que lui-même avait aussi un projet de mariage entre deux Chrétiens qu’il désirait voir s’accomplir avant mon départ, ce qui, espérait-il, ne me serait point désagréable.

Je compris de suite qu’il était question de la jeune fille servante de sa mère ; car il n’y avait point d’autre femme chrétienne dans l’île. Aussi commençai-je à le dissuader de faire une chose pareille inconsidérément, et parce qu’il se trouvait dans une situation isolée. Je lui représentai qu’il avait par le monde une fortune assez considérable et de bons amis, comme je le tenais de lui-même et de la jeune fille aussi ; que cette fille était non-seulement pauvre et servante, mais encore d’un âge disproportionné, puisqu’elle avait vingt-six ou vingt-sept ans, et lui pas plus de dix-sept ou dix-huit ; que très-probablement il lui serait possible avec mon assistance de se tirer de ce désert et de retourner dans sa patrie ; qu’alors il y avait mille à parier contre un qu’il se repentirait de son choix, et que le dégoût de sa position leur serait préjudiciable à touts deux. J’allais m’étendre bien davantage ; mais il m’interrompit en souriant et me dit avec beaucoup de candeur que je me trompais dans mes conjectures, qu’il n’avait rien de pareil en tête, sa situation présente étant déjà assez triste et déplorable ; qu’il était charmé d’apprendre que j’avais quelque désir de le mettre à même de revoir son pays ; que rien n’aurait pu l’engager à rester en ce lieu si le voyage que j’allais poursuivre n’eût été si effroyablement long et si hasardeux, et ne l’eût jeté si loin de touts ses amis ; qu’il ne souhaitait rien de moi, sinon que je voulusse bien lui assigner une petite propriété dans mon île, lui donner