Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/281

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sans doute parce que sa mère l’avait soutenu aux dépens de sa propre vie. Bien que la pauvre servante fût d’une constitution plus forte que sa maîtresse, déjà sur le retour et délicate, il se peut qu’elle ait eu à lutter plus cruellement contre la faim, je veux dire qu’il peut être présumable que cette infortunée en ait ressenti les horreurs plus tôt que sa maîtresse, qu’on ne saurait blâmer d’avoir gardé les derniers morceaux, sans en rien abandonner pour le soulagement de sa servante. Sans aucun doute d’après cette relation, si notre navire ou quelque autre ne les eût pas si providentiellement rencontrés, quelques jours de plus, et ils étaient touts morts, à moins qu’ils n’eussent prévenu l’événement en se mangeant les uns les autres ; et même, dans leur position, cela ne leur eût que peu servi, vu qu’ils étaient à cinq cents lieues de toute terre et hors de toute possibilité d’être secourus autrement que de la manière miraculeuse dont la chose advint. Mais ceci soit dit en passant. Je retourne à mes dispositions concernant ma colonie.

Et d’abord il faut observer que, pour maintes raisons, je ne jugeai pas à propos de leur parler du sloop que j’avais embarqué en botte, et que j’avais pensé faire assembler dans l’île ; car je trouvai, du moins à mon arrivée, de telles semences de discorde parmi eux, que je vis clairement, si je reconstruisais le sloop et le leur laissais, qu’au moindre mécontentement ils se sépareraient, s’en iraient chacun de son côté, ou peut-être même s’adonneraient à la piraterie et feraient ainsi de l’île un repaire de brigands, au lieu d’une colonie de gens sages et religieux comme je voulais qu’elle fût. Je ne leur laissai pas davantage, pour la même raison, les deux pièces de canon de bronze que j’avais à bord et les deux caronades dont mon neveu s’était chargé par surcroît. Ils me semblaient suffisamment équipés pour une