Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/288

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multitude : il y avait bien en tout, frisées et culbutées, treize ou quatorze pirogues dont les hommes s’étaient jetés à la nage ; le reste de ces barbares, épouvantés, éperdus, s’enfuyaient aussi vite que possible, se souciant peu de sauver ceux dont les pirogues avaient été brisées ou effondrées par notre canonnade. Aussi, je le suppose, beaucoup d’entre eux périrent-ils. Un pauvre diable, qui luttait à la nage contre les flots, fut recueilli par nos gens plus d’une heure après que touts étaient partis.

Nos coups de canon à biscayens durent en tuer et en blesser un grand nombre ; mais, bref, nous ne pûmes savoir ce qu’il en avait été : ils s’enfuirent si précipitamment qu’au bout de trois heures ou environ, nous n’appercevions plus que trois ou quatre canots traîneurs[1]. Et nous ne revîmes plus les autres, car, une brise se levant le même soir, nous appareillâmes et fîmes voile pour le Brésil.

Nous avions bien un prisonnier, mais il était si triste, qu’il ne voulait ni manger ni parler. Nous nous figurâmes touts qu’il avait résolu de se laisser mourir de faim. Pour le guérir, j’usai d’un expédient : j’ordonnai qu’on le prît, qu’on le redescendît dans la chaloupe, et qu’on lui fît accroire qu’on allait le rejeter à la mer, et l’abandonner où on l’avait trouvé, s’il persistait à garder le silence. Il s’obstina : nos matelots le jetèrent donc réellement à la mer et s’éloignèrent de lui ; alors il les suivit, car il nageait comme un liége, et se mit à les appeler dans sa langue ; mais ils ne comprirent pas un mot de ce qu’il disait. Cependant, à la fin,

  1. Straggling. La traduction contemporaine (indigne du beau nom de madame Tastu) dont il est parlé dans notre préface et dans quelques notes précédentes, porte trainards. Toutes les pages de cette traduction sont émaillées de pareils barbarismes : il est déplorable qu’un livre destiné à l’éducation de la jeunesse soit une école de jargon.