Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/428

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Je confesse que je fus plus révolté de leur stupidité et de cette brutale adoration d’un hobgoblin, d’un fantôme, que du tout ce qui m’avait frappé dans le cours de ma vie. Oh ! qu’il m’était douloureux de voir la plus glorieuse, la meilleure créature de Dieu, à laquelle, par la création même, il a octroyé tant d’avantages, préférablement à touts les autres ouvrages de ses mains, à laquelle il a donné une âme raisonnable, douée de facultés et de capacités, afin qu’elle honorât son Créateur et qu’elle en fût honorée ! oh ! qu’il m’était douloureux de la voir, dis-je, tombée et dégénérée jusque là d’être assez stupide pour se prosterner devant un rien hideux, un objet purement imaginaire, dressé par elle-même, rendu terrible à ses yeux par sa propre fantaisie, orné seulement de torchons et de guenilles, et de songer que c’était là l’effet d’une pure ignorance transformée en dévotion infernale par le diable lui-même, qui, enviant à son créateur l’hommage et l’adoration de ses créatures, les avait plongées dans des erreurs si grossières, si dégoûtantes, si honteuses, si bestiales, qu’elles semblaient devoir choquer la nature elle-même !