liez et ne la leur expliquiez, et, alors, ils vous battront, je vous l’assure, car ce sont d’enragés coquins, et surtout quand il s’agit de la défense de leur idolâtrie. » — « Ne pourrions-nous pas le faire de nuit, dis-je, et leur en laisser les raisons par écrit, dans leur propre langage ? » — « Par écrit ! répéta-t-il ; peste ! Mais dans cinq de leurs nations il n’y a pas un seul homme qui sache ce que c’est qu’une lettre, qui sache lire un mot dans aucune langue même dans la leur. » — « Misérable ignorance !… » m’écriai-je. « J’ai pourtant grande envie d’accomplir mon dessein ; peut-être la nature les amènera-t-elle à en tirer des inductions, et à reconnaître combien ils sont stupides d’adorer ces hideuses machines. » — « Cela vous regarde, sir, reprit-il ; si votre zèle vous y pousse si impérieusement, faites-le ; mais auparavant qu’il vous plaise de considérer que ces peuples sauvages sont assujétis par la force à la domination du Czar de Moscovie ; que si vous faites le coup, il y a dix contre un à parier qu’ils viendront par milliers se plaindre au gouverneur de Nertzinskoy et demander satisfaction, et que si on ne peut leur donner satisfaction, il y a dix contre un à parier qu’ils révolteront et que ce sera là l’occasion d’une nouvelle guerre avec touts les tartares de ce pays. »
Ceci, je l’avoue, me mit pour un moment de nouvelles pensées en tête ; mais j’en revenais toujours à ma première idée et toute cette journée l’exécution de mon projet me tourmenta[1]. Vers le soir le marchand écossais m’ayant rencontré par hasard dans notre promenade autour de la ville,
- ↑ Nous avions promis de ne plus faire de notes ; cependant, il ne nous est guère possible de ne pas dire qu’ici, dans la traduction contemporaine, indigne du beau nom de madame Tastu, on a passé sous silence cinq pages et demie du texte original, à partir de Vers le soir… jusqu’à Le matin… : c’est vraiment commode. P. B.