Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/499

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même sagesse par lesquels il a été créé. C’est le mot de Montesquieu : Les lois selon lesquelles Dieu a fait toutes choses, sont celles selon lesquelles il les gouverne.

Quand l’homme s’efforce de s’écarter des voies de la Providence, il est contraint d’y rentrer presque aussitôt qu’il en est sorti, ou plutôt, dans son éloignement même, il concourt à l’accomplissement des décrets éternels. « Soit bénie la Providence ! s’écrie à ce sujet Silvio Pellico (Mes Prisons, tome II, page 279). Les hommes et les choses, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas, ne sont entre ses mains que d’admirables instruments qu’elle sait mettre en œuvre pour des fins dignes d’elle. »

Il est bien rare que l’homme qui ne consulte pas les desseins de la Providence n’en soit sévèrement puni : malheureux lorsqu’il échoue, plus malheureux encore lorsqu’il réussit. C’est ce qui faisait dire à Robinson Crusoé : « La Providence se montre clairement, nous rassasie de nos propres désirs et fait que le plus ardent de nos souhaits soit notre affliction ; elle nous punit sévèrement dans les choses même où nous pensions rencontrer le suprême bonheur. » (Tome Ier, page 203.)

Après une amère réflexion sur els maux dont il était accablé et sur son affreux isolement dans l’île, il finit par dire : « Il faut considérer dans les maux le bon qui peut faire compensation et ce qu’ils auraient pu amener de pire. » (Tome Ier, page 94.)

Quelle confusion d’avoir fermé l’oreille à la voix de la Providence, qui ne lui avait pas ménagé les avertissements de toute espèce au milieu de ses écarts, et d’être demeuré insensible aux marques frappantes de sa protection spéciale, dans le temps qu’il courait à sa perte !

Quelles actions de grâces de ce que la Providence avait merveilleusement ordonné que le navire sur lequel il voguait échouât près du rivage de l’île, d’où non-seulement il avait pu l’atteindre, mais où il avait pu transporter tout ce qu’il en avait tiré pour son soulagement et son bien-être, et de ce que sa main divine lui avait dressé, contre son attente, une table dans le désert ! (Tome Ier, page 203.)

Quelle religieuse considérations, que celle qui le porte à reconnaître que c’était la Providence de Dieu qui l’avait condamné à cet état de vie ; qu’incapable de pénétrer les desseins de la sagesse divine à son égard, il ne pouvait pas décliner la souveraineté d’un Être qui, comme créateur, avait le droit incontestable et absolu de disposer de lui à son bon plaisir, et qui pareillement avait le pouvoir judiciaire de le condamner, à cause de ses offenses, au châtiment qu’il jugeait convenable, et qu’il devait se résigner à supporter sa colère, puisqu’il avait péché contre lui ! (Tome Ier, page 243.)

Quelle ferme confiance dans la Providence, qui lui inspire une si noble profession de foi, que notre sublime Créateur peut traiter miséricordieusement ses créatures, même dans ces conditions où elles semblent être plongées dans la désolation ; qu’il sait adoucir nos plus grandes amertumes, et nous donner occasion de le glorifier au fond de nos cachots ! (Tome Ier, page 229 et 230.)

Tout dans sa longue carrière le porte à chanter sans cesse les louanges de la Providence, et à lui témoigner sa vive gratitude pour les biens innombrables qu’il en a reçus ; son livre tout entier est un hymne perpétuel. Tantôt il se rappelle qu’il a été sauvé seul du naufrage, sans l’avoir mérité. Tantôt il la remercie d’avoir posé des bornes étroites à la vue et à la science de l’homme ; quoiqu’il marche environné de mille dangers dont le spectacle, s’ils se découvraient à lui, troublerait son âme et terrasserait son courage, il garde son calme et sa sérénité, parce que l’issue des événements est cachée à ses regards, parce qu’il ne sait rien des périls imminents qui le menacent. (Tome Ier, page 299.) Tantôt il proclame sa conviction intime que, comme la prudence humaine est justifiée par l’autorité de la Providence, c’est la Providence qui la met en œuvre ; et que si nous écoutons religieusement sa voix, nous éviterions un grand nombre d’adversités, auxquelles par notre négligence notre vie est exposée. (Tome II, page 126.) Tantôt aussi, quand il faisait réflexion que peut-être, par arrêt de la plus triste manière, dans u lieu d’exil et de désolation, des larmes coulaient en abondance sur son visage, et quelquefois il se plaignait en lui-même de ce que la Providence pouvait ruiner ainsi complétement ses