Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/95

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lui caressa la face, le prit dans ses bras, l’assit sur un arbre abattu et s’étendit près de lui ; puis se dressa et le regarda pendant un quart d’heure comme on regarderait une peinture étrange ; puis se coucha par terre, lui caressa et lui baisa les jambes ; puis enfin se releva et le regarda fixement. On eût dit une fascination ; mais le jour suivant un chien même aurait ri de voir les nouvelles manifestations de son affection. Dans la matinée, durant plusieurs heures il se promena avec son père çà et là le long du rivage, le tenant toujours par la main comme s’il eût été une lady ; et de temps en temps venant lui chercher dans la chaloupe soit un morceau de sucre, soit un verre de liqueur, un biscuit ou quelque autre bonne chose. Dans l’après-midi ses folies se transformèrent encore : alors il asseyait le vieillard, par terre, se mettait à danser autour de lui, faisait mille postures, mille gesticulations bouffonnes, et lui parlait et lui contait en même temps pour le divertir une histoire ou une autre de ses voyages et ce qui lui était advenu dans les contrées lointaines. Bref, si la même affection filiale pour leurs parents se trouvait chez les Chrétiens, dans notre partie du monde, on serait tenté de dire que ç’eût été chose à peu près inutile que le cinquième Commandement.

Mais ceci est une digression ; je retourne à mon débarquement. S’il me fallait relater toutes les cérémonies et toutes les civilités avec lesquelles les Espagnols me reçurent, je n’en aurais jamais fini. Le premier Espagnol qui s’avança, et que je reconnus très-bien, comme je l’ai dit, était celui dont j’avais sauvé la vie. Accompagné d’un des siens, portant un drapeau parlementaire, il s’approcha de la chaloupe. Non-seulement, il ne me remit pas d’abord, mais il n’eut pas même la pensée, l’idée, que ce fût moi qui revenais, jusqu’à ce que je lui eusse parlé. — « Senhor, lui dis-je