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HÉLIKA.

rent lorsque je passai devant eux, mais ils rentrèrent précipitamment, croyant que c’était plutôt mon esprit qui venait les visiter, tant ils étaient certains de ma mort et tant était grande la superstition qui les dominait, malgré les lumières que le christianisme leur avait données.

Enfin, je réussis à dominer quelque peu mon émotion et me dirigeai vers la demeure de ma pauvre Angeline. Mes deux chiens que j’avais laissés avant mon départ et qui avaient toujours montré pour elle un attachement sans bornes, étaient étendus à la porte l’œil et l’oreille au guet, comme deux vigilantes sentinelles. Lorsqu’ils entendirent le bruit de mes pas, ils se levèrent et poussèrent d’affreux hurlements auxquels répondirent tous les autres chiens de la tribu, puis dès qu’ils virent que nous nous avancions vers la porte qu’ils gardaient soigneusement, ils s’élancèrent vers nous le poil hérissé, l’œil ardent, nous montrant deux rangées de dents formidables. On eût dit qu’ils voulaient nous barrer le passage. Je me sentis touché de ce dévouement si vrai, et si désintéressé : je les appelai par leurs noms, ils reconnurent ma voix. D’un saut, ils furent auprès de moi, vinrent me lécher les mains, firent mille cabrioles en avant et autour de moi, allèrent japper joyeusement à la porte pour leur apprendre qu’un ami arrivait puis recommençaient leurs gambades tant leur joie était délirante.

Je n’étais plus enfin qu’à quelques pas de l’habitation, lorsque la porte s’ouvrit et deux femmes parurent sur le seuil. L’une d’elles tenait une carabine, l’autre pressait un jeune enfant sur sa poitrine. Toutes deux avaient été éveillées en sursaut par le bruit inusité et craignaient sans doute une attaque de quelques tribus ennemies, attaques qui n’étaient que trop fréquentes dans ces temps-là. Je les reconnus du premier coup d’œil ; c’étaient la mère d’Attenousse et mon Angeline. Mes forces voulurent m’abandonner, mais je réussis à prendre le dessus. « Hélika », s’écria la vieille en se reculant, épouvantée, pendant qu’Angeline s’élançant à ma rencontre venait jeter son enfant dans mes bras et me sauter au cou. Je les pressai un instant toutes deux sur mon cœur.

« Père, me dit Angeline, je t’attendais. Va-t-il bientôt nous revenir ? » Elle n’osait prononcer le nom de son époux. Je pus alors, pressé de ses questions, me débarrasser de son étreinte et ordonner aux sauvages qui portaient mes effets de les déposer à la porte de la hutte et leur enjoignis de se retirer. Je leur avais expressément défendu de raconter la mort tragique d’Attenousse et je pouvais compter sur leur discrétion. Puis prenant Angeline et son enfant dans mes bras, comme je l’avais fait les deux jours