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HÉLIKA.

qui avaient précédé mon départ, j’entrai dans la cabane et les assis sur mes genoux.

Pendant ce temps, la vieille mère disséquait chacun des traits de ma figure comme si elle eût voulu y lire la terrible nouvelle que j’allais leur annoncer et qu’elle semblait anticiper.

L’accablement dont mon âme était en proie ne put leur échapper, elles semblèrent comprendre qu’un grand malheur était arrivé, et les sanglots d’Angeline me tirèrent de l’abîme de douleurs où j’étais enfoncé. « Angeline, ma bonne, ma chère enfant, lui dis-je en l’embrassant, ton mari était trop parfait pour la terre, il ne pouvait vivre au milieu des méchants qui rôdent autour de nous. Dieu a voulu qu’il me chargeât de te donner avec nous tous un rendez-vous dans le ciel, car il l’a appelé à lui. Une affreuse maladie l’a saisie à son arrivée aux Trois-Rivières, il en est mort entouré de tous les secours de la religion bénissant ton nom, celui de sa mère et faisant des vœux pour le bonheur de son enfant. Il m’a chargé de prendre soin de vous tous et je ne faillirai pas à l’engagement que j’ai contracté sur son lit de mort. Plutôt m’arracher le cœur que de me séparer de ton enfant à laquelle j’ai voué tout l’amour, que j’ai porté à la mère et que je ressens pour toi aujourd’hui. »

J’avais dit ces paroles qui ne comportaient qu’une partie de la vérité, les yeux baissés et l’esprit encore noyé dans le souvenir des scènes affreuses que j’avais vues se dérouler depuis mon arrivée dans la ville.

Quand je levai la tête, Angeline ne pleurait plus, son regard était perdu dans le vide, un frisson agitait tous ses membres, sa pâleur était extrême. La mère continuait à m’examiner et malgré les efforts qu’elle faisait avec la stoïque énergie du sauvage pour dissimuler ce qu’elle éprouvait, je pus voir clairement qu’elle pressentait tout ce qui était arrivé.

Je déposai Angeline sur son lit, je la couvris de mes baisers, l’inondai de mes larmes et nous tentâmes, la mère et moi, tous les efforts possibles pour tâcher de la faire revenir à elle. Elle fut longtemps, bien longtemps avant que de pouvoir reprendre ses sens. Heureusement qu’une idée lumineuse me frappa. Je couchai auprès d’elle la petite Adala et lui ayant dit tout bas que sa mère allait mourir si elle n’essayait pas par ses caresses de la rappeler à la connaissance. Cette enfant était d’une intelligence bien supérieure à son âge, on eût dit qu’elle comprenait l’importance de ce que je lui avais dit et elle répéta les mots que je lui avais appris :

« Maman si tu mourais que ferait Adala ? » et elle l’embrassait à chacune de ses paroles. Ces accents naïfs qui peuvent faire surgir