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HÉLIKA.

la mère de la tombe à la voix de son enfant premier né eurent l’effet désiré.

« Oh ! Adala, dit-elle en la pressant avec transport, seules désormais sur la terre qu’allons-nous devenir, car tu es orpheline et ne comprends pas encore toute la perte que tu as faite en étant privée de l’appui de ton père ? » et des larmes abondantes inondèrent ses joues. Agenouillé auprès du lit, je suivais avec anxiété cette scène navrante ; toutefois, j’augurai bien des larmes que versait Angeline, car il me semblait qu’elles devaient la sauver. Je regrettai alors de ne pas lui avoir dit toute la vérité, mais quelles consolations aurais-je pu lui offrir ; une consolation est-elle possible dans cette vallée de larmes ?

Mais pourquoi m’appesantirais-je davantage sur ces tristes événements ?…

À force de bons soins, la santé d’Angeline parut se rétablir et chaque soir, une prière était dite en commun dans la tribu pour le repos de l’âme du malheureux Attenousse.

Toutefois la position n’était guère tenable. D’un moment à l’autre, un mot indiscret de quelqu’enfant de la tribu, pouvait tout compromettre, car chacun savait ce qui s’était passé avant et après l’exécution, et je craignais qu’il en vînt quelque chose aux oreilles d’Angeline et qu’on lui apprit de quelle manière Attenousse était mort. Je me décidai donc un jour de fuir ces endroits à jamais néfastes, d’amener avec moi mes infortunées protégées, d’aller demeurer dans un lieu ignoré, auprès d’un lac qui se trouve dans les profondeurs des bois vis-à-vis Ste. Anne de la Pocatière autrefois Ste. Anne de la Grande Anse. Je fis mes préparatifs en conséquence : j’achetai un fort grand canot, engageai des hommes et le surlendemain, accompagnés d’une embarcation montée par de puissants rameurs qui devaient nous prêter secours au besoin, nous descendîmes le Saguenay et quelques jours après, nous traversions le fleuve.

Est-il besoin de vous dire que la veille de mon départ, j’avais visité plusieurs de mes amis et leur avais exposé le but et la raison qui me forçaient de les abandonner. Ils comprirent parfaitement, ces enfants de la nature, quel était le sentiment qui guidait ma conduite, ils voulurent même m’offrir des venaisons fumées et des pelleteries dont j’aurais trouvé un avantageux débit. Je les remerciai avec effusion pour ces preuves d’amitié qu’ils me donnaient, et lorsque le lendemain, je doublai le cap qui les séparait à jamais de ma vue, je pus apercevoir leurs silhouettes mal effacées. Ils venaient nous dire adieu malgré l’heure matinale du départ et tâchaient de se mettre à l’abri des rochers pour que nous ne les