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talents ; le ciel t’a doué, Ernest, de qualités éminentes ; développe-les, utilise-les, c’est un devoir sacré pour un homme. N’est-ce pas, mon ami, ajouta-t-elle en lui prenant la main, n’est-ce pas que tu feras tous tes efforts pour armer ton cœur de ce courage ?

— Oui, Justine, je te le jure.

Mademoiselle de Liron baisa plusieurs fois le front, puis les yeux humides de son cousin.

— Ah ! continua-t-elle, que notre amour est grave, Ernest ! mais t’aperçois-tu aussi comme il est devenu sublime ? T’en souviens-tu ? tu me disais il y a un an : « Je vous ai aimée d’abord comme une mère, je vous ai bientôt chérie comme une sœur. » Eh bien ! depuis que j’ai été ton amante ! il y a huit jours encore j’avais pour toi la tendresse d’une sœur, mais aujourd’hui je sens que mon amour pour toi redevient celui d’une mère ; ce titre seul peut en caractériser la puissance et la nature. Viens, Ernest, viens dans mes bras, que je retrouve mon enfant !

— Ne vous agitez pas ainsi, disait Ernest en répandant des larmes ; au nom du ciel, épargnez vos jours !

— Je ne redoute plus rien à présent. Je n’ai plus que quelques mots à dire pour avoir achevé ma tâche ; demain peut-être la parole, la raison, la vie même me manquera ; profitons donc des instants qui nous restent.

— Ô Dieu ! ménagez vos jours, répéta Ernest, ménagez-les.

Mais mademoiselle de Liron sans s’émouvoir lui répondit :

— Ne t’en mets pas en peine et porte toute ton attention à mes dernières volontés, mon enfant.

Ces paroles, prononcées avec l’accent de l’autorité et de la tendresse, avaient quelque chose de si auguste, qu’elles commandèrent à Ernest un respectueux silence. Alors soulevant de sa main la tête de celui qu’elle n’appelait plus que son enfant, mademoiselle de Liron lui dit :

— Regarde-moi !… te sens-tu venir le courage ? ton cœur s’est-il raffermi ? et penses-tu sérieusement à agir conformé-