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CHAPITRE II.

Lorsque après avoir dépassé Dôle, on arrive aux Rousses, pour descendre du Jura et se rendre à Genève, le lac, les montagnes qui l’avoisinent et le mont Blanc qui surmonte ce paysage, se présentent tout à coup à l’œil du voyageur.

Depuis soixante ans environ que l’observation pittoresque des sites et des montagnes est devenue une des parties les plus importantes de notre éducation, il n’y a garde que nous passions devant un tertre ou une flaque d’eau sans que leur aspect ne réveille plus ou moins fort en nous les habitudes d’admiration que l’on a fait prendre à notre esprit.

Je suis loin de blâmer ce goût, quoique souvent un peu factice, et je n’en parle que pour faire observer qu’il y a deux cents ans, vers le temps où s’est déroulée l’histoire que je raconte, les esprits étaient en général moins disposés à la contemplation des beautés de la nature. En voyage surtout, les torrents, les lacs et les hautes montagnes n’étaient que des obstacles formidables, au milieu desquels les voyageurs, ordinairement très-impatients d’arriver à leur but, ne s’avisaient guère de faire de la poésie, même spéculative. En un mot, le métier de touriste n’était pas encore connu, et c’était chose rare que la beauté ou la bizarrerie d’une route séduisissent l’imagination du voyageur toujours affairé. Mais si ces impressions de voyage manquaient alors, on en avait d’autres.

Deux jeunes cavaliers, enveloppés de manteaux, venaient de sortir de leur voiture, aux Rousses, pour descendre à pied, afin de se remettre du froid du matin. En apercevant le majestueux horizon qui se déroulait à leurs yeux, leur premier mouvement fut d’exprimer l’effroi et le dégoût. Ils se regardèrent ensuite, puis baissèrent les yeux sans cesser de marcher en silence, tandis que leur voiture les suivait. Pendant toute la descente, ils continuèrent ainsi, et ce ne fut que quand ils eurent repris place dans leur voiture, pour suivre la route qui mène à Nyon, que le plus jeune des deux voya-