Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/14

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témoigne son amour à la Sulamite, idylle étrange et sublime, sanctifiée seulement par le sens mystique qu’on y attache. Enfin, après deux traités décidément sur la morale, l’Ecclésiastique et la Sagesse, viennent Isaïe, Jérémie et tous les prophètes, qui font entendre leurs imprécations, leurs plaintes et leur espoir, à l’occasion de la chute prochaine de la Jérusalem terrestre, et de la vie nouvelle dont le monde régénéré jouira dans la Jérusalem céleste.

Lorsque je me fis à moi-même les questions que je viens de reproduire, j’étudiais momentanément l’influence d’une idée fausse et étroite, née il y a un siècle dans l’esprit des économistes, et qu’ont adoptée ceux qu’on appelle aujourd’hui les utilitaires, gens qui veulent que tout profite immédiatement ; que chaque arbre produise à point nommé son fruit ; que tout livre aboutisse à une vérité démontrée mathématiquement, et qu’une pièce de théâtre, qu’un roman enfin prouve rigoureusement quelque chose, mène au développement d’un fait moral nécessairement utile à la société, et dispose en quelque sorte des destinées futures de l’humanité, en affectant la prétention de rendre la justice à chacun, avec plus d’exactitude et de rigueur que ne le fait Dieu lui-même.

Cette idée fausse et imprégnée d’orgueil, qui domine dans quelques compositions célèbres du milieu du siècle dernier, a fait fortune. Depuis, les gens du monde qui s’ennuyaient des sermons ont exigé des poëtes comiques et des romanciers qu’ils leur fissent des traités de morale en action ; et de proche en proche, on en est arrivé à cette poétique niaisement morale consacrée par les mélodrames du boulevard, d’après laquelle le crime est toujours puni, et la vertu invariablement récompensée.

Non ; un livre où cette rémunération exacte et symétrique est présentée même avec art, n’en est pas plus moral pour cela, car la vertu cesserait d’être elle-même, si elle était assurée d’obtenir toujours en ce monde la récompense qu’elle mérite ; et l’exposé de ce sophisme est le défaut d’un ouvrage célèbre, qui, malgré les pieuses intentions de l’auteur et la beauté de son talent, n’est qu’une composition où la vérité est toujours obligée de se ranger de côté pour laisser passer la morale ; roman qui ne plaît ni aux enfants ni