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plupart de ces petites brochures ressemblaient assez aux livrets que l’on vend encore aujourd’hui sur les quais à Paris, dans lesquels la vie des quatre fils Aymon ou du Juif errant se trouve ornée de gravures sur bois. Les brochures qui attiraient alors si vivement la curiosité des Genevois renfermaient l’histoire injurieuse de quelques papes dont les portraits, placés en marge, étaient figurés ordinairement par une tête d’animal cruel ou immonde, couronnée de la tiare. Parmi les curieux assemblés devant la boutique, on reconnaissait facilement à quelles classes de citoyens chacun d’eux appartenait. Leurs habillements et leurs manières ne les auraient pas fait distinguer, que le choix des pamphlets qui attiraient les patriciens ou les gens du peuple aurait mis une ligne de démarcation entre eux. Les premiers se pressaient pour suivre des yeux une pancarte ornée d’élégantes gravures accompagnées d’un texte en vers latins, dont le titre, Opposition du Christ à l’antéchrist, était imprimé en gros caractères. Dans cette suite d’images, dont l’une était toujours opposée à l’autre, on remarquait les disciples du Christ soignant les malades, en regard avec un pontife chargé d’embonpoint et marchant appuyé sur les bras d’un cardinal et d’un évêque ; plus loin, le Sauveur, ordonnant de rendre à César ce qui lui appartient, contrastait avec le pape assis sur son trône, entouré de sa cour, et recevant les hommages respectueux des empereurs et des rois de la terre. Là deux autres sujets donnaient lieu aux comparaisons les plus vives : d’un côté, Jésus entrait à Jérusalem pour y recevoir bientôt la mort ; de l’autre, le pape entouré de soldats sortait de Rome à cheval pour aller au loin porter la guerre. C’était les vendeurs chassés du temple, à côté du pape vendant les indulgences au poids de l’or ; le fils de Dieu lavant les pieds de ses disciples, et le pape faisant baiser sa mule ; le couronnement d’épines et l’imposition de la triple couronne ; Jésus traînant sa croix au Calvaire, le pontife romain porté au Vatican dans une magnifique litière ; et enfin Moïse recevant les tables de la loi, placé dos à dos avec le pape à genoux, faisant un pacte avec le diable.

La perfection des gravures et le style assez élégant de l’au-