Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effet, j’ai reçu les instructions de Paris, et je suis prêt à partir, dit l’ouvrier. — Eh bien ! demain ? — Demain ? cela n’est pas possible. C’est dimanche ; vous savez avec quelle exactitude nous sanctifions le jour du Seigneur, et pour rien au monde nous ne trouverions ici quelqu’un qui nous louât des chevaux et voulût se mettre en voyage. — Eh bien ! à lundi matin, dit l’abbé Segni. — À lundi, » répéta Gauthier, qui promit même de s’assurer des montures, et s’informa de l’auberge des voyageurs, en les reconduisant jusqu’au bas de son escalier et même assez avant dans la rue.

Si le premier étourdissement de M. de Beauvoir était passé, son esprit ne s’en trouvait pas beaucoup plus à l’aise, en réfléchissant à tout ce qui avait eu lieu devant lui depuis son entrée à Genève. Cette espèce de rôle de complaisant à moitié dupe, qu’il se trouvait forcé de jouer, le blessa vivement ; et ce fut à peine si les recommandations que lui avait faites son père et le cardinal Mazarin, de mettre toute confiance en l’abbé Segni, suffirent pour le décider à se prêter de nouveau à des démarches aussi étranges que celle à laquelle il venait encore de prendre une part involontaire en ce moment. Rassuré cependant par l’idée de voir promptement la fin de tous ces manèges en arrivant à Rome, et ne pouvant penser que son père l’eût mis dans une mauvaise position, il prit son mal en patience, et accompagna l’abbé Segni sans lui faire aucune demande, ni aucune réflexion sur la visite chez le joaillier.

L’Italien, considérant cette retenue comme un progrès, parla à M. de Beauvoir d’une manière plus amicale qu’il n’avait fait encore depuis leur départ de France, et tout en conversant sur ce qui s’offrait à leurs yeux, ils parcoururent et visitèrent la ville. Leur curiosité fut tout à coup excitée par la boutique d’un libraire, le long de laquelle un assez grand nombre d’ouvrages nouveaux attiraient l’attention d’une foule composée de personnes de tous rangs et de toutes conditions. « Approchons, dit l’abbé, nous allons savoir ce qu’on lit à Genève. » Et les deux voyageurs se mêlant aux curieux, ne tardèrent pas, avant même de se trouver plus près des livres, d’apprendre de quelle nature en était le contenu. La