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corrompus avec elle, et que les marchands se sont enrichis par l’excès de son luxe. N’en doutez pas, ses tourments, ses douleurs seront multipliés à proportion de ce qu’elle s’est élevée dans son orgueil et de ce qu’elle s’est plongée dans les délices. Le deuil, la famine et la mort viendront fondre sur elle en un même jour, et elle périra par le feu. Amen. »

Une psalmodie lugubre termina le prêche, et tous ceux qui étaient dans le temple en sortirent dans le même ordre et avec le même silence qu’ils avaient observés en y entrant.

L’espèce de retraite où Segni et de Beauvoir étaient placés au temple les ayant forcés de se tenir debout pendant presque toute la durée du prêche, il en résultait que la lassitude de leur corps, jointe à la longue préoccupation de leur esprit, les avait plongés dans un grand abattement. En rentrant chez eux, ils se jetèrent chacun dans un fauteuil, et demeurèrent silencieux jusqu’au moment que le maître de l’auberge vint prendre leurs ordres pour le repas.

Pour dire le vrai, le sermon ne leur avait pas ouvert l’appétit ; et ce fut bien moins dans l’idée de se mettre à table, qu’avec l’intention de faire la dépense convenable dans une auberge, que l’abbé Segni mit à la discrétion de son hôte le soin de les servir comme il l’entendrait. Restés seuls de nouveau, les deux voyageurs n’en devinrent pas plus parleurs, et le temps se passa à échanger des questions et des réponses insignifiantes, jusqu’au moment qu’un domestique vint dresser la table et servir le repas.

L’assoupissement de leur appétit en avait redoublé l’activité ; en sorte que les convives faisaient honneur à la bonne chère de la Balance, lorsque l’hôtelier revint demander à leurs seigneuries si elles étaient satisfaites. Malgré son flegme habituel, le Genevois ne put s’empêcher de laisser percer son étonnement à la vue des deux étrangers mangeant de si bon appétit. Cet hôtelier, l’un des plus entêtés calvinistes de la ville, se trouvait souvent, par le fait de sa profession, froissé jusqu’au fond de l’âme par les ménagements qu’il était forcé de prendre envers ceux des voyageurs dont la religion était opposée à la sienne. La foi du calviniste et celle