Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/17

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qui honore l’homme en un mot, n’est arrêté par aucune difficulté. Or ce sont précisément ces trois ouvrages, qui ont un but moral plus déterminé que les autres, le ridicule jeté sur les vieillards amoureux, et l’inconvénient d’épouser une femme d’une condition supérieure à la sienne, que les délicats de nos jours jugent immorales, par cela seul que leurs oreilles sont blessées de quelques mots inusités maintenant. Il y a de leur part pruderie et injustice.

Mais que dirait-on aujourd’hui du but moral d’un roman dont le héros commencerait à demander la bourse ou la vie sur les grandes routes, et qui finirait par devenir secrétaire du premier ministre d’une des grandes monarchies d’Europe ? On l’a fait cependant ce livre ; il existe, et c’est Gil Blas de Santillane, que tout le monde lit, admire et relit encore. Croira-t-on que l’élégance et la solidité du style suffisent pour éblouir les lecteurs au point de leur faire prendre le change sur la valeur réelle d’un ouvrage dont le fond serait impur ? Une erreur semblable ne saurait subsister pendant plus d’un siècle ; et puisqu’on lit toujours Gil Blas avec un égal plaisir, il faut nécessairement en conclure qu’il n’est pas aussi immoral que la fortune scandaleuse de son héros donne à le croire. Les honnêtes gens sont trop rares sans doute dans ce livre ; mais la finesse et la courageuse persévérance avec lesquelles l’auteur peint, signale et fait agir les voleurs, les fripons, les intrigants, les histrions, les faux dévots et les courtisans, témoignent si vivement du mépris et de l’indignation que lui inspirent ces personnages, qu’il règne dans tout son livre un sentiment moral toujours assez fort et assez éclatant pour faire accepter les tristes personnages qu’il a si heureusement mis en scène. Il n’est pas jusqu’à son héros, ce faible Gil Blas, sans vice ni vertu, s’améliorant à mesure qu’il se trouve mieux d’être bon et honnête, qui n’intéresse, lorsque retiré dans son château de Lirias, il passe le reste de ses jours en bon père de famille et avec la régularité d’un chrétien.

Quant à Clarice Harlow, malgré une foule de détails tellement scabreux, que je comprends que l’on en blâme la lecture, on conviendra cependant que c’est un roman extrêmement grave, et où l’on peut puiser des enseignements très-salutaires pour la conduite dans la vie, ainsi que pour le perfectionnement de l’âme. Cependant outre les taches que j’ai