Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/27

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et gardez-le ; puis maintenant revenons au point où nous en sommes restés ; je vais me marier, vous disais-je. Je dois épouser un homme que vous avez vu peut-être autrefois, et qui vient ce soir faire visite à mon père et à moi. C’est M. de Thiézac. J’ose compter sur votre amitié comme sur votre prudence en cette occasion, et je désire même que vous assistiez à cette entrevue.

— Mademoiselle de Liron, dit avec un calme affecté le jeune Ernest, qui s’était levé de dessus le banc, il y a mille sacrifices, à commencer par celui de ma vie, que je suis prêt à faire pour vous ; mais ce que vous me demandez est au-dessus de mes forces. Il ne put achever ces paroles sans que les larmes ne lui vinssent aux yeux, et par un mouvement machinal, il tira brusquement de sa poche le mouchoir qui venait de lui être donné. Mais il s’arrêta tout à coup au moment où il allait s’en servir, et étendit le bras pour le déposer avec dépit auprès de mademoiselle Justine.

— Gardez votre mouchoir, s’écria-t-il, et je ne veux pas rester ici une minute de plus.

Mademoiselle Justine saisit à la volée le mouchoir et la main d’Ernest qu’elle retint, en disant : —Je ne reprends jamais ce que j’ai donné ; et vous, si vous avez de l’amitié pour moi comme vous le dites, vous allez rester, vous rasseoir et m’écouter. Ernest garda le mouchoir et se rassit auprès de sa cousine. — Mon ami, continua-t-elle alors, il faut absolument que vous vous guérissiez de cette manie de faire des scènes romanesques. Ce qui se passe en ce moment me cause peut-être plus de chagrin qu’à vous, et il est bien étrange que ce soit moi qui le supporte avec le plus de courage. Mais enfin, puisqu’il en est ainsi, je ne cesserai pas d’en mettre en cette occasion ; je vous promets donc de faire tout ce qui dépendra de moi pour soulager votre peine, mais j’exige en même temps que vous me disiez précisément quel est votre espoir, quels sont vos projets et en quoi vous avez à vous plaindre de moi ; allons, expliquez-vous.

Le jeune homme éprouvait assez d’embarras. Le langage franc de sa cousine le forçait à parler également sans réserve, et toutefois il n’était pas assez certain de ce qu’il désirait, ni