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— Vous le voyez, dit M. de Thiézac en reprenant tranquillement la lettre des mains d’Ernest, vous n’avez pas un instant à perdre. Il faut faire vos préparatifs pour partir demain pour Paris.

— Cela est impossible, monsieur, dit Ernest d’un ton convenable, mais ferme.

— Impossible ? c’est bien fort ce que vous dites là. Il faut y réfléchir ; l’occasion qui vous est offerte ne se représentera peut-être pas de longtemps. Et enfin pour vous, je dirai plus, pour monsieur votre oncle et mademoiselle votre cousine, il ne faut pas faire un enfantillage dont vous vous repentirez, et qui sans aucun doute vous attirera de justes reproches.

— En vérité, monsieur, répondit Ernest, si je ne devais pas être certain de votre bienveillance envers moi, j’aurais lieu de m’étonner du soin que vous prenez de m’avertir de la légèreté de mon âge... Je ne veux... Non, en vérité, monsieur, je ne puis partir demain.

Ernest prononça cette dernière phrase, d’abord avec une expression si vive de colère, puis après de tendresse, qu’elle facilita à M. de Thiézac le moyen de renouer la conversation. « Mon cher Ernest, dit-il, entre garçons, puisque je le suis encore, la différence d’âge n’exclut pas la confiance. Là ! parlez-moi franc ; est-ce que vous avez quelque petite affaire de galanterie qui vous tienne bien au cœur ? Si c’est cela, il ne faut pas en faire mystère. Je conçois très-bien la contrariété que doit vous causer un départ aussi brusque ; mais enfin ce sont de ces malheurs, entre nous soit dit, dont on trouve toujours moyen de se consoler, surtout à Paris, et je ne pense pas que vous soyez assez enfant pour sacrifier un avenir brillant et sûr à une amourette passagère. »

Pendant tout ce discours M. de Thiézac, la tête appuyée sur l’une de ses mains, regardait avec calme, mais d’un œil pénétrant, le jeune Ernest, qui, au mot d’amourette, avait eu toutes les peines du monde à contenir la colère qui gonfla son cœur.

Une amourette !... mademoiselle Justine de Liron !... Une amourette ! se répétait-il intérieurement, lui pour qui