Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/513

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Voyez-vous, mademoiselle, je suis sûre de cela, moi, comme je suis certaine que j’écrase maintenant cette fraise sous mes doigts. Et, en parlant ainsi, Toinette, qui avait suspendu un instant son travail, écrasait en effet une fraise dans sa main avec une vivacité et un air d’assurance qu’elle était loin d’avoir ordinairement. À cette conversation courte, mais vive, succéda un assez long silence entre les deux jeunes filles. Elles se remirent au travail sans lever même les yeux l’une sur l’autre. Toinette était devenue presque honteuse de sa supériorité passagère ; et Louise reconnaissait que l’âme de la petite paysanne était allée plus haut que la sienne. Après quelques instants d’interruption, Toinette reprit la parole. — Comme vous avez travaillé, mademoiselle Louise, voilà le carré fini et le soleil n’est pas encore tout à fait caché ; vous m’avez épargné au moins une demi-heure de travail. Louise regarda Toinette, sur qui elle n’avait pas encore porté sa vue depuis leur petite discussion théologique. Mais dès qu’elle eut retrouvé dans les yeux de la jeune paysanne cet air de franchise et de bonté ineffable qui indiquait que sa compagne ne se doutait même pas de l’impression profonde de ses paroles, elle lui dit :

— En vérité, est-ce que mon aide a pu être de quelque utilité pour vous, Toinette ?

— Oui, mademoiselle, et vous serez cause que j’aurai une bonne demi-heure d’avance en rentrant à la maison ; je vous en remercie bien. Mais, si je ne me trompe, c’est la voix de madame votre mère que j’entends, elle vous appelle.

— Maman m’appelle, dit Louise en se levant brusquement, et un peu déconcertée d’un avertissement auquel elle ne pensait plus. Maman m’appelle, il faut que je vous quitte, Toinette.

— Eh bien, adieu, mademoiselle !...

—Adieu, Toinette !... répondit gravement Louise, adieu !... adieu !... Cependant elle restait immobile. En prononçant ce mot, adieu ! que l’on répète journellement sans y attacher de sens, pour la première fois Louise pesa l’importance de ce nom sacré qu’elle redisait en quelque sorte malgré elle. La conversation qu’elle venait d’avoir préoccupait aussi son