esprit ; et, bien qu’elle sentît la nécessité d’obéir à sa mère, un instinct plus fort que sa volonté la retenait près de Toinette. Cette enfant était devenue pour elle un objet de compassion et de reconnaissance. Elle voyait le travail dur et pénible auquel Toinette, plus jeune qu’elle, était condamnée ; elle reconnaissait que cet enfant, moins intelligente, moins bien instruite qu’elle, avait jeté dans son âme une lumière qui n’y avait jamais pénétré, et, dans la confusion des sentiments qui agitaient son cœur, il lui vint dans l’idée de donner à la petite paysanne la seule pièce de monnaie qu’elle eût sur elle. Mais cette pensée ne fit que traverser son esprit comme un éclair. Payer la conversation de Toinette, lui donner de l’argent parce qu’elle avait parlé sincèrement de Dieu, parut une monstruosité à mademoiselle de Soulanges, qui, dans l’excès de sa honte et de sa reconnaissance, sauta au cou de la paysanne pour l’embrasser, puis s’éloigna avec vivacité et rejoignit sa mère.
Déjà la société s’était mise en chemin pour regagner le château, aussi Louise fut-elle obligée de presser le pas pour l’atteindre. Madame de Soulanges fermait la marche, se retournant de temps en temps, non sans attendre avec impatience que sa fille l’eût rattrapée. Lorsque Louise fut près d’elle :
— Vous vous êtes fait attendre bien longtemps, ma fille, dit madame de Soulanges avec un ton de mécontentement qu’elle ne prenait que dans les occasions les plus graves ; et je n’imagine pas l’attrait qu’a pu avoir pour vous la conversation de Toinette. Il semble vraiment que plus vous allez en avant, et moins vous prenez de part et d’intérêt à ce que disent vos parents et leurs amis.
C’était peut-être la première fois que madame de Soulanges usait d’une telle sévérité envers sa fille ; aussi cette tendre mère craignit-elle, dès qu’elle eut laissé échapper ces paroles, que le cœur de son enfant n’en fût blessé. Elle se disposait même à en modifier la rigueur, lorsqu’elle fut tout à coup détournée de cette pensée par l’air de froideur, d’indifférence et de préoccupation qui se manifestait dans la contenance de sa fille. En effet, Louise, qui ordinairement et au moindre