Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/540

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véritablement... Écoutez-vous les chants... les concerts de louanges... Quelle belle musique !... que je suis ravie de l’entendre !...

Elle se tut après ces mots, comme quelqu’un qui écoute. Puis enfin elle articula des sons confus, dans l’intention, sans doute, de joindre ses chants à la musique divine qu’elle croyait entendre. Jusque-là, les sentiments pieux et les paroles saintes de Louise, entretenant un reste d’illusion, avaient fait supporter à madame de Soulanges cette scène de douleur ; mais quand, à travers ces chants désordonnés et confus, cette malheureuse mère reconnut quelques traits décousus et incohérents de la musique que son enfant étudiait journellement auprès d’elle, elle sentit que la mort était là. En effet, à ce désordre des sons et de la pensée, se joignit bientôt celui des traits de Louise. Déjà son regard était perdu et ne se fixait évidemment plus sur rien ; déjà même un côté de sa figure demeurait immobile, tandis que l’autre s’agitait involontairement.

La mort, quand elle est consommée, a quelque chose de solennel ; mais la lutte qui s’établit entre l’âme et le corps près de se séparer est hideuse ; elle humilie ceux qui en sont témoins.

Quelque grand que fût le courage de ceux qui étaient présents, M. Delahire put seul supporter ce spectacle. M. et madame de Soulanges, le jeune de Lébis et le curé lui-même, tous détournèrent les yeux, et firent involontairement quelques pas pour s’éloigner du lit.

De ce moment le mal ne cessa plus de faire des progrès effrayants.

M. Delahire profita de ce sentiment d’effroi pour avertir le curé qu’il était temps pour lui de penser aux derniers devoirs qu’il avait à remplir auprès de la mourante, et d’engager les parents à s’éloigner quelques instants de ce lieu funeste. En prenant pour prétexte le repos dont la malade avait besoin, M. Delahire, aidé du curé, parvint à faire retirer le père et la mère, ainsi que le jeune de Lébis, et à leur épargner au moins le spectacle de ce qu’il y a de plus affreux dans l’heure qui précède l’agonie.