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à peine ai-je respiré l’air de cette chambre, à peine me suis-je senti entouré de tous ces objets qui vous appartiennent, qui vous touchent, qui retiennent le parfum de votre personne, oh ! j’ai senti ma colère s’évanouir et les regrets se sont emparés de mon cœur. Vous comprenez, vous sentez, n’est-ce pas, à quel point je suis malheureux de ce que j’ai fait ?

— C’est bien mal, en effet, dit mademoiselle de Liron avec douceur.

— Dites donc que c’est affreux, infâme. Oh ! je ne me le pardonnerai jamais ! Vous que j’ai aimée d’abord comme une mère, que j’ai chérie bientôt comme une sœur, qu’enfin j’ai…

Mademoiselle de Liron l’arrêta.

— Eh ! oui, je le sais bien, vous regardez le reste comme un rêve, et même comme un rêve d’enfant !

— Quoi ! Ernest, encore de la rancune ?

— Eh bien ! oui, je vous ai aimée, je vous ai adorée, et je vous aime et vous adore encore. Mon malheur vient de ce que vous m’avez toujours regardé comme un enfant. Mais non, Justine, je ne le suis pas. La colère a pu me pousser à faire une action blâmable, mais, au fond, le besoin impérieux de vous voir encore une fois, de vous parler à cœur ouvert, m’a invinciblement poussé à venir ici. Sachez-le donc, vous êtes ma vie, mon avenir, tout enfin pour moi ! Apprenez aussi tous les rêves qu’a faits cet homme que vous considérez comme un enfant. Depuis un an, Justine, je me regarde comme lié à vous. Pour moi, vous étiez ma femme ; pour moi, je suis encore et je serai toujours votre mari. C’est un vœu que j’ai fait, je le tiendrai. Je pars demain pour Paris ; Dieu sait ce que j’y ferai et ce que je vais devenir ; mais peu m’importe à présent. Avec vous, pour vous et par vous, je ne sais ce dont je n’eusse pas été capable ; mais aujourd’hui tout m’est indifférent, et dès l’instant que ce n’est pas pour vous que je fais, je n’ai envie de rien faire. Allez, mariez-vous, tâchez d’être heureuse ! Pour moi, mettez-moi à la porte comme un vaurien, c’est ce que j’ai bien mérité.

En achevant ces mots, prononcés avec tant de vivacité