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surpris dans ses yeux une espèce de satisfaction passagère que lui causait mon émotion. Il se tint debout près de moi.

— N’est-ce pas, me dit alors Thérèse, d’une voix éteinte mais assez libre, n’est-ce pas que Michel est un habile ouvrier ?

Comme je lui témoignai le cas particulier que je faisais des talents de son mari, mes éloges firent naître sur sa belle figure un de ces sourires de satisfaction mêlée de tendresse, qu’il n’appartient qu’à l’orgueil conjugal de produire.

— Je vois bien, ajouta-t-elle en me faisant un signe d’intelligence, que vous êtes un véritable connaisseur, car Michel n’en fait pas descendre d’autres dans son atelier. Eh ! vraiment tout le monde dit bien que Michel n’a pas son égal à Paris. S’il était aussi raisonnable qu’il est habile, je ne le gronderais pas si souvent ; n’est-ce pas, Michel ?

— C’est vrai, Thérèse, dit le mari en baissant la tête.

— Grondez-le donc aussi, vous, monsieur, me dit-elle avec grâce, grondez-le de ce qu’il s’occupe de mille extravagances qui le détournent de son état. Sans ces distractions, notre fortune serait faite et nous pourrions nous retirer. Je te préviens, Michel, que dès que je serai guérie je veux aller à la campagne ; ainsi travaille pour avoir une petite, maison… avec un verger et un parterre de fleurs ; n’est-ce pas, Michel ?

— Oui, Thérèse.

— Tu m’achèteras aussi une petite chèvre ?

— Oui, Thérèse.

— Et tu auras un atelier pour t’occuper auprès de moi ?

— Oui, Thérèse.

— Et nous serons bien heureux ; n’est-ce pas, Michel ?

— Oui, Thérèse.

Michel étouffait de douleur. Pour abréger son supplice, je me levai en prenant un air d’autorité, afin d’engager la malade à ne plus se fatiguer en parlant, et j’entraînai son mari dans la boutique.

— Ah ! ma pauvre Thérèse !

Ce fut tout ce qu’il put dire en sanglotant, et il me quitta brusquement pour redescendre dans la cave où il m’avait conduit d’abord.