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J’interrompis mon narrateur pour lui demander s’il me serait possible de voir cet homme.

— Sans doute, répondit l’Anglais ; vous obligerez même les personnes qui l’entourent, car elles savent à peine quelques mots de français. Quant au malade, je pense que votre présence et votre conversation ne peuvent que lui être agréables et salutaires. On a au moins l’espérance qu’il sera plus tranquille lorsqu’il cessera d’entendre parler l’anglais, qui excite toujours sa colère. C’est pour cela qu’on s’empresse de le faire rentrer en France.

Le déjeuner fini, le jeune Anglais me conduisit à la maison habitée par le fou. Mon conducteur dit deux mots à ses compatriotes, et je fus introduit dans la chambre du malade. C’était bien lui. Malgré son front devenu chauve et le reste de ses cheveux blanchis, je reconnus aussitôt Michel. Il était assis, paraissait préoccupé et tenait sur ses genoux cette même boîte au miroir métallique qu’il m’avait montrée anciennement. Je m’approchai de lui sans témoigner ni crainte ni hésitation, précaution importante auprès des cerveaux malades.

— Monsieur Michel, lui dis-je alors, me reconnaissez-vous ?

Il porta attentivement son regard sur moi comme pour s’assurer de la réponse qu’il allait faire ; puis, après avoir souri légèrement :

— Nous aurons bientôt fait connaissance, dit-il, puisque vous parlez un langage intelligible, et il versa quelques pleurs de joie.

Ce début me donna bonne espérance, et je m’empressai de saisir la main qu’il me tendit.

Je suis bien malheureux, continua-t-il en laissant tomber son regard vers la terre, personne ne veut plus parler avec moi, et ils ont tous fait un complot pour me refuser ce que je demande.

— Mais je viens au contraire, monsieur Michel, pour savoir ce que vous désirez.

Il releva la tête, son œil s’anima.

— Serait-il vrai ? Ne me trahirez-vous pas aussi ?