Aussi, meubles, administrations, batterie de cuisine, bibliothèques, artillerie, tourne-broches, horloges et jusqu’à la monnaie, tout, tout était confectionné, employé, régularisé, nettoyé, compté et empilé au moyen de menues machines, que de plus grandes mettaient en mouvement d’après l’impulsion donnée par la machine-mère. La place de chaque objet, de chaque personne, l’espace qu’ils devaient occuper et parcourir, étaient mesurés et calculés de telle sorte que qui que ce fût ne pouvait se soustraire à la vigilance des autres, et que le plus petit objet ne courait pas le risque de s’égarer. Pas de menteurs, pas de voleurs, pas de traîtres, pas d’assassins ; tout le monde était forcé d’être vertueux !… Michel, après avoir laissé échapper un grand éclat de rire qui lui fut arraché par l’idée du succès de ses inventions, redevint tout à coup triste et morne.
— Tous vertueux ! répéta-t-il plusieurs fois, tous vertueux !… Excepté moi !
— Il prononça ces derniers mots en poussant de profonds soupirs. Je mis tout en usage, prières et caresses, pour le calmer, et je réussis assez bien. Il tenait ma main dans les siennes, et après m’avoir regardé pendant quelques instants avec une bienveillance mêlée de tristesse :
— Que vous êtes heureux ! me dit-il, vous n’avez jamais été maître ; vous n’avez jamais été roi ; vous n’avez jamais eu l’envie et le pouvoir de faire le mal ? Eh bien ! moi, je l’ai fait. Je l’ai médité, je l’ai calculé, je l’ai machinisé !… Quand on est roi, il faut de l’argent ? Eh bien ! j’ai dit qu’on ne m’en donnait pas suffisamment. On a répondu que si ; j’ai soutenu que non ; eux et moi nous nous sommes brouillés, et je me suis retiré dans ma caverne… Hélas, mon Dieu ! je n’eus besoin que de toucher un petit point de la machine, à l’instant j’augmentai de deux dents tous les râteaux destinés à transmettre la monnaie, et bon gré mal gré, j’eus tout ce que je voulais.
Un petit retour de vanité anima encore la figure de Michel, qui retomba presque aussitôt dans ses idées graves de repentir.
— Si je m’en étais tenu là ! reprit-il en soupirant, oh !