Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/562

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sulter de nouveau le miroir en accusant mes yeux. Ce redoublement d’attention anima Michel, qui, soulevant sa boîte et la considérant avec un léger balancement de tête semblable à celui d’un artiste devant son ouvrage :

— Voyez, me disait-il, ses beaux cheveux châtains, ses yeux si doux et sa bouche qui sourit avec tant de bonté….. Elle est bien pâle, mais elle est bien belle, n’est-ce pas ?

Et comme il indiquait de l’autre main les différentes parties d’un visage, j’observai avec quelle incroyable précision il déterminait le rapport des traits entre eux. Je l’avouerai, à deux ou trois reprises, je me frottai les yeux dans l’espérance de les rendre aussi clairvoyants que ceux du malade, mais il ne m’en laissa pas le temps. Michel avait assez brusquement refermé la boîte, son front s’était rembruni.

— Croiriez-vous, reprit-il, que, pendant tout le temps de ma puissance, j’ai presque oublié cet ange, ma pauvre Thérèse ? Quand j’y ai repensé, je n’étais plus moi, j’étais gâté et j’ai gâté le souvenir de Thérèse. C’est dans ma caverne, quand je fus seul, bien triste, en exécration à tous, c’est lorsque je fus dégoûté de ce que je voyais et de ce que j’entendais dire dans mon petit monde, que j’ouvris alors cette boîte… mais devinez-vous l’idée qui me vint ? Ah ! Dieu ne me la pardonnera jamais !… Après avoir combiné et réuni mille et mille ressorts, je fis à son image… non pas une statue de bois ou de pierre au moins… mais presque une vraie Thérèse. Son port, sa taille, ses traits, toute sa personne se reproduisit sous ma main, et bientôt il n’y eut plus un seul mouvement que je ne pusse lui faire prendre. Mais ce n’était pas assez pour moi, et je voulais trouver pour mettre en elle un je ne sais quoi qui contrefît la vie. Nuit et jour je travaillais sans relâche. Enfin j’en étais venu à ce point de donner de l’élasticité à l’un de ses bras. Déjà sa main s’ouvrait pour prendre et retenir, et je lui présentai la mienne comme pour agacer la vie ; elle la saisit et la serra. Pénétré de joie d’abord, je parlai à Thérèse, croyant qu’elle allait me répondre ; mais toute sa personne demeura fixe, excepté sa main, qui serrait la mienne avec tant de force, que je fis de vains efforts pour me dégager. Tout à coup j’entendis neuf heures