Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/570

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trois resteront ainsi la tête penchée, l’œil ardent et le désespoir dans l’âme, tant qu’ils ne trouveront pas la force d’abandonner ce qu’ils regrettent, d’oublier ce qui les retient sur ce côté de la muraille. »

Il y avait dans le son et dans l’accent de cette voix lointaine quelque chose de si affectueux et de si tendre qui tempérait la rigueur des arrêts qu’elle semblait prononcer, que Robert et ses compagnes de voyage plaignaient plus les malheureuses larves qu’ils n’étaient effrayés de la peine qu’elles subissaient. D’ailleurs, le temps pressait, et il fallait avancer.

« Ne vous arrêtez plus, marchez toujours, leur disait la voix, et pendant le chemin qui vous reste à faire, je vous dirai tout ce qu’il importe que vous sachiez. C’est bien moins, vous le voyez, la difficulté des lieux qui ralentit la marche des pécheurs que les mauvaises dispositions de leur volonté. Il y en a un grand nombre de beaucoup plus coupables que ceux que vous avez remarqués, et qui cependant les ont dépassés dans les détours de la grande muraille, parce qu’ils se sont repentis plus tôt, parce qu’ils ont plus promptement renoncé à la passion des objets qui les ont fait faillir. »

Tout en écoutant, la troupe avançait dans le sentier caverneux, chacun tournant les yeux de côté et d’autre pour vérifier ce qui leur avait été dit, ou pour observer quelque nouveau détail qui excitait leur curiosité. Lucie était la seule qui eût conservée du calme, et qui retrouvât même quelque chose de son enjouement naturel. « La voix dit bien vrai, observa-t-elle, et en effet la grosseur des roches va toujours en diminuant ; le bruit des gémissements semble être moins fort, et sans doute que toutes ces larves se purifient et deviennent meilleures à mesure qu’elles avancent dans l’intérieur de la muraille.

— Cela est ainsi, répondit la voix à Lucie, et ce mur, dont la face du côté du monde présente un assemblage de roches d’une dimension énorme, est composé dans son intérieur de blocs et de cailloux, diminuant toujours de grosseur, jusqu’à être réduits à un gravier, à un sable, et enfin à une