Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/6

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saints, avec des illuminations, des gloires d’anges mécaniques et des évolutions pieuses accompagnées de pantomimes et de musique ; je rappellerai que du centre orageux des guerres entre le sacerdoce et l’empire, que pendant les conflits sanglants des factions les plus haineuses, puis des guerres de religion qui leur succédèrent, on vit apparaître une foule de compositions romanesques, dont on ne peut s’expliquer le succès extraordinaire que par le besoin de diversion toujours indispensable aux esprits quand ils ont été longtemps fatigués par de grands malheurs.

N’est-ce pas en effet au milieu de circonstances analogues que parurent successivement les fabliaux des trouvères, le Décaméron de Boccace, les contes de Chaucer, les amours d’Euriale et Lucrèce de Piccolomini, depuis pape sous le nom de Pie II ; les Cent nouvelles nouvelles, à la rédaction desquelles Louis XI et les seigneurs de sa cour, lorsqu’il était dauphin, ont pris part ; les aventures du moine Colonna de Trévise avec une jeune nonne, le Roland furieux du divin Arioste, le Pantagruel de Rabelais, Daphnis et Chloé de Longus, traduit par Amyot, grand aumônier de France ; les histoires amoureuses racontées par Bandello, évêque d’Agen ; l’Astrée de d’Urfé, et tant d’autres romans inférieurs en mérite à ceux que je viens de nommer, mais dont la vogue ne fut pas moins grande ?

Quand des hommes graves pour la plupart et qui ont laissé un nom fameux dans les lettres, se sont décidés à composer ou à traduire des romans, est-il vraisemblable de croire que ce genre de composition est aussi mauvais, aussi pernicieux, aussi infâme même que le prétendent les rigoristes ?

Avant de chercher à anéantir par le blâme un fait qui se reproduit exactement de génération en génération, peut-être serait-il prudent de s’assurer s’il ne prend pas sa source dans un besoin qu’on ne saurait détruire et qu’il devient parfois très-dangereux de contrarier obstinément. Dès l’origine du christianisme, les plaisirs du théâtre et de la danse ont été constamment proscrits ; qu’en est-il arrivé ? que ces deux arts, qui existeront toujours tant que l’homme sera pourvu d’imagination et de deux jambes, ont été et seront encore cultivés avec une ardeur et une persévérance égales à celles que l’on a mises à les prohiber.