Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/7

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Ces rigueurs ont donc fait ranger le théâtre et la danse au nombre des choses décidément profanes, il est vrai ; mais la foule des personnes couramment pieuses, de celles qui fréquentent alternativement les églises, les théâtres et les bals, se trouvent par cela même dans l’obligation de racheter l’irrégularité de cette conduite équivoque par de sévères pénitences. Je dois l’avouer, ces éternelles capitulations de conscience, ces tiraillements journaliers de l’âme, ces compensations entre le plaisir et les austérités religieuses, ces lessives hebdomadaires de toutes fautes, ne me semblent pas être une combinaison heureuse.

Le parti franc que l’on prit en l’an 787 dans un cas analogue, me parait infiniment plus sage. C’était à l’occasion des iconoclastes, qui prétendaient aussi s’opposer à ce que l’on admît les statues et les tableaux dans la décoration des églises. Le concile de Nicée, à qui cette question fut soumise, décida nettement que ces deux arts concourraient à l’embellissement des temples ; en sorte que depuis cette époque on a pu exercer la peinture et la sculpture sans vivre sous le poids d’un anathème perpétuel. Or ces questions ne se rattachant qu’à la discipline, on peut donc dire qu’il est fâcheux que l’on n’ait pas trouvé moyen de sanctifier le théâtre et la danse, comme la poésie, la sculpture, la peinture et la musique.

Je n’irai pas jusqu’à réclamer cette faveur pour les romans, chose essentiellement mondaine ; mais enfin, malgré les louables intentions que l’on a d’épurer, d’élever la nature humaine, n’a-t-elle pas des besoins qui lui sont inhérents ? Et en mettant de côté la vie matérielle, notre esprit saurait-il se passer de distractions sans courir le risque de s’affaiblir et de se troubler ? Peut-on nier qu’à la suite de la terrible peste de 1348, les contes de Boccace et de Chaucer n’aient apporté une diversion salutaire à l’esprit de ceux qui avaient échappé à ce fléau ? que durant la terreur, en 1793, les chansons amoureuses de Fabre d’Églantine et les pastorales doucereuses de Florian aient versé un baume salutaire sur les âmes meurtries par d’horribles malheurs ? Si du tout nous passons à l’individu, ne retrouverons-nous pas le même phénomène ? et dans l’Arioste, ce poëte, cet écrivain si franchement gai, n’y avait-il pas un homme bourrelé d’ennuis et d’inquiétudes ? Comment s’expliquer Piccolomini compo-