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quand elle était rentrée dans sa chambre. Quoiqu’elle eût été élevée très-soigneusement par sa mère, qui était fort religieuse, mademoiselle de Liron n’était naturellement pas portée à la dévotion. Dans la régularité qu’elle mettait à remplir ses devoirs de piété, il y avait surtout de l’habitude, et aucune répugnance. Poussée par l’instinct qui l’avertissait de ne laisser inoccupés ni son corps ni son âme, elle s’était imposé comme une tâche d’assister habituellement aux offices. Par une précaution qui dérivait du même principe, elle s’abstenait de toutes les lectures qui pouvaient ramener son esprit à des pensées qui n’y revenaient que trop souvent d’une manière toute naturelle. Le livre, et ce fut bientôt le seul dont elle fit usage, le seul livre donc qui remplît son âme, qui plût à son cœur, et dont la simplicité s’accordât avec la nature de son esprit, fut l’Imitation de Jésus-Christ ; et entraînée par cet instinct qui nous fait mêler si souvent le cri des passions aux accents de la prière, chaque soir, après avoir remonté la montre d’Ernest, elle faisait sa lecture. Au bout de quelques mois, on aurait pu reconnaître aux feuillets fatigués du chapitre des merveilleux effets de l’amour divin, quel était le véritable état du cœur de l’aimable Justine de Liron.

Cependant un an et quinze jours s’étaient écoulés depuis le 23 juin de l’année précédente. Ernest était à Rome depuis dix mois en qualité de deuxième secrétaire auprès de l’ambassadeur de France, lorsque, dans la matinée du 8 juillet, on lui donna l’ordre de se tenir prêt à partir d’un moment à l’autre comme courrier extraordinaire à Paris. Cet avertissement lui causa une émotion singulière. Il éprouva tout à la fois une joie très-vive d’aller en France, et la crainte d’être obligé de quitter Rome avant d’avoir reçu une lettre qu’il attendait d’Auvergne. Malgré ce conflit de sentiments contraires, notre jeune diplomate, soutenu par l’attachement à ses devoirs, plutôt que par la discrétion obligée de ceux qui fréquentent les chancelleries, déroba à tous les regards la joie et l’inquiétude qui disputaient son cœur, et fit tenir son équipage prêt pour son départ.

Après avoir rendu comme par politesse quelques visites à