heures qu’Ernest lui donnait. Elle lui faisait des lectures, et le soir jouait aux échecs avec lui. Enfin elle s’imposa beaucoup de nouveaux devoirs pour échapper aux regrets involontaires et à la tristesse dont elle redoutait sérieusement l’empire.
Pendant un an et plus, elle suivit exactement le plan de vie qu’elle s’était tracée, et à l’exception des jours où sa santé, qui était devenue moins bonne, la forçait à se relâcher de ses devoirs, elle les remplissait avec tant d’exactitude et d’un air de si bonne humeur, que son père et tous les gens de la maison la regardaient comme la personne la plus tranquille et la plus heureuse du monde. Au fond de l’âme, mademoiselle de Liron ressentait habituellement une satisfaction si profonde d’avoir rendu Ernest heureux, de ce qu’elle lui avait fait prendre une marche raisonnable dans la vie, que ce bonheur contre-balançait et au delà tous les chagrins que l’absence fait éprouver aux personnes ordinaires.
Elle avait ses faiblesses cependant ; une entre autres que nous ferons connaître. La nuit du 23 juin, Ernest oublia sa montre au moment où il sortit de la chambre. Quelques instants après son départ, et lorsque mademoiselle de Liron se fut débarrassée des couvertures où elle s’était enveloppée, elle s’aperçut de cet oubli au bruit régulier du balancier. Elle prit la montre, la baisa ; puis tout à coup et afin de ne pas laisser interrompre ce bruit, ce mouvement, auxquels l’impulsion avait été donnée par une main si chère, elle la remonta. Chaque soir, à la même heure, elle touchait, elle baisait et remontait la montre, dont le bruit, toujours le même, lui faisait croire fermement quelquefois pendant une minute ou deux qu’Ernest était là. Oh ! combien elle redoutait que la montre ne s’arrêtât ! Que d’espérances, que de rêveries superstitieuses même, se succédaient dans son esprit, lorsqu’elle poursuivait de l’œil l’aiguille sautant de seconde en seconde !
À ces nombreux devoirs et à cette innocente faiblesse, mademoiselle de Liron joignait, pour occuper son âme pendant toute la journée, une lecture habituelle qu’elle faisait le soir