Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/70

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et s’il y a du monde on la met dans sa poche ; puis on y porte la main à toute minute pour bien s’assurer qu’elle ne s’est pas envolée. Enfin on la lit, on la relit ; après quoi on s’impose la privation de rester plusieurs heures sans y jeter les yeux, et l’on tâche de l’oublier pour la relire encore avec une nouvelle joie. Voilà, mon ami, ce que je fais avec vos lettres. »

Il s’en fallut bien que cette lettre, toute pleine de tendresse qu’elle fût, satisfit Ernest. À cela près des nouvelles assez tristes de la santé des habitants de Chamaillères, elle ne contenait rien que celles qu’il avait reçues précédemment de sa cousine n’exprimassent à peu près de la même manière. L’amour, dans un jeune homme surtout, est une espérance fiévreuse, qui le fait toujours aspirer après un accroissement de bonheur. Il y avait douze jours d’écoulés depuis que l’année d’épreuve exigée par mademoiselle de Liron était révolue. La lettre qu’il venait de recevoir était précisément datée du jour anniversaire, et cependant il ne s’y trouvait pas une phrase, pas un mot qui fît même allusion aux espérances qu’il nourrissait toujours dans son cœur. Ces mots de mademoiselle de Liron : « Moi seule déciderai de notre avenir, et je t’interdis toute initiative à ce sujet, » lui revinrent désagréablement dans l’esprit ; et, dans sa mauvaise humeur, il fut sur le point d’accuser sa cousine d’user de tyrannie envers lui. Mais ces accès de dépit naturels à Ernest ne prenaient plus tant d’empire sur lui, depuis que son caractère avait été obligé de se plier à l’inexorable nécessité qui régit les affaires, et aux caprices des hommes dont il avait eu l’occasion de fréquenter la société depuis un an. Ce fut volontairement même, qu’il réprima cette colère, qu’il s’imposa la loi de s’occuper de ses affaires et des apprêts de son départ. Sitôt qu’Ernest, devenu plus calme par la préoccupation que lui donnèrent ces soins, eut retrouvé en lui-même l’homme chargé d’une mission grave, et décidé à ne rien négliger pour remplir les devoirs sacrés de son état, il éprouva un contentement intérieur dont il ne tarda pas à sentir que la cause première venait des sages conseils que lui avait donnés mademoiselle de Liron. Jusque-là il avait cer-