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cela elle porta la main sur son cœur) la conviction que la puissance que j’ai d’aimer est plus forte et moins facile à éluder qu’un contrat, qu’une loi. Et considère en effet, continua-t-elle avec vivacité, que non-seulement tout le monde se rit, et en paroles et en actions, de l’amour par-devant notaire, mais qu’il n’y a pas de contrat garantissant la propriété d’une maison, d’une prairie ou d’un cheval, qui ne soit bien plus religieusement observé que celui que passent des époux entre eux.

Ernest ne put s’empêcher de rire de l’ardeur et de l’originalité avec lesquelles mademoiselle de Liron exposait ses opinions sur le mariage ; mais, toute préoccupée de son idée, elle poursuivit :

— Et que doit-on dire de l’indécence cérémonieuse dont ils flétrissent leur mariage ? Ernest, penses-y donc ! des billets de faire part ! C’est tel jour, c’est à telle heure ! Et tous les sots qui viennent rire à point nommé !... Ô mon Ernest ! que l’amour est saint, qu’il est chaste en comparaison ! Tu t’en souviens : ici, il y a un an, deux heures avant nous n’en savions rien nous-mêmes, et on nous l’eût dit que nous ne l’eussions pas cru.

Au surplus, je ne sais, continua-t-elle, pourquoi je m’échauffe ainsi, comme si l’amour avait rien de commun avec le mariage ; ce sont deux vocations toutes différentes. La plupart des femmes, et je les trouve bien heureuses, trafiquent très-innocemment de leur personne, pour avoir la liberté, une maison ou un carrosse ; mais, mon ami, il y en a d’autres qui ne se donnent que quand leur cœur leur commande : celles-là ne se marient pas.

Et comme elle finissait de parler elle tendit la main à Ernest avec gravité. Il la reçut et la pressa tendrement, en exprimant toutefois quelque tristesse.

— Oh ! je vous comprends bien, lui dit-elle ; vous êtes contrarié de la justesse de mes raisons ; mais ni vous ni moi ne pouvons rien contre elles. Il faut que je vous dise encore que depuis un an j’ai bien souvent agité la question de savoir si je me déciderais à être votre maîtresse...

À ce mot Ernest témoigna si vivement, par l’expression