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Ernest restait consterné, abattu.

— Je l’avoue, disait-il avec le regard fixe, et d’une voix éteinte, le courage est sur le point de m’abandonner, et je rougis de tous les efforts qu’il m’en coûte pour t’épargner des regrets. Pardonne-moi donc ce chagrin qui semble t’implorer encore, et sois sûre, Justine, que ce n’est pas sans quelque vertu que je verse ces larmes que tu vois couler.

Jamais sans doute le courage de deux amants n’a été soumis à de plus grandes épreuves, et le triomphe de Justine et d’Ernest, malgré toutes les vicissitudes qu’il a éprouvées, est le plus grand qu’il soit donné d’obtenir.

Il y avait plus d’une semaine que, dans chacune de ces soirées, leur âme était habituellement agitée par ce mélange de bonheur, de regrets, de désirs et de combats. La santé de mademoiselle de Liron était loin d’en devenir meilleure ; ses palpitations étaient beaucoup plus fréquentes, elle ne prenait plus aucune nourriture sans en souffrir, et son activité naturelle était sinon diminuée, au moins suspendue assez souvent par les malaises et les souffrances qu’elle éprouvait. Il y a deux espèces de malades : ceux qui aiment à se faire plaindre, et les autres qui cachent leur mal. Mademoiselle Justine de Liron était de ces derniers. Elle poussait même cette attention bienveillante pour les autres jusqu’à se la rendre fatale à elle-même. Ernest, trompé par le courage et la bonne humeur avec lesquels sa cousine supportait ses maux, n’y donnait qu’une attention accidentelle, et dans son ignorance il ne lui était jamais venu à l’esprit de penser que toutes ces indispositions séparées pouvaient constituer un état de maladie dangereux. Le médecin, M. Tilorier lui-même, n’avait pu se soustraire à l’illusion que la gaieté habituelle de mademoiselle de Liron produisait. Cependant toutes ses craintes, qui étaient graves depuis longtemps, devinrent plus vives encore pendant la semaine des épreuves. Il fit bien questions sur questions, pour savoir si la maladie augmentait d’elle-même, ou si des émotions accidentelles en aggravaient le danger, mais, comme on le pense bien, il ne sut rien du motif véritable qui occasionnait l’accroissement du mal de mademoiselle de Liron.