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de chambre pour s’assurer qu’on n’avait pas besoin de lui, et se retira pour aller lui-même se reposer.

Cette journée fut suivie de plusieurs autres à peu près semblables, où les deux amants résistant toujours victorieusement aux tentations quelquefois très-vives que ces entretiens solitaires leur donnaient, travaillaient courageusement à transformer leur amour en amitié. C’était ordinairement à l’instant du souper, repas dont ils s’étaient fait une douce habitude, que la conversation dans le fort de son cours devenait tout à la fois plus tendre et plus sérieuse. L’aimable Justine, qui sentait le besoin d’être tout aussi prudente pour elle que pour son cousin, en sa qualité de reine du festin, rendait des ordonnances dont la plus simple violation faisait encourir des peines sévères. Elle permettait qu’on lui baisât la main, mais à de certains intervalles de temps. Le moment et la durée de ces marques de tendresse étaient réglés, et la moindre infraction à la loi était punie par une privation de ce bonheur. Elle éprouvait pour elle comme pour son ami le besoin d’étouffer, d’éteindre avec précaution et peu à peu cet amour qu’au fond du cœur elle regrettait tant de réprimer. Souvent lorsque, devenus comme muets, ils avaient puisé dans les regards l’un de l’autre mille sentiments, mille idées qui se transformaient en désirs presque insurmontables, mademoiselle de Liron, allant au-devant du danger qu’elle redoutait, présentait sa main à Ernest, la lui laissait couvrir de baisers et pleurait à chaudes larmes en voyant pleurer son ami. Le pauvre jeune homme ! il se tordait auprès d’elle, il mordait ses vêtements et mangeait ses membres de caresses.

— Ô Justine ! ô ma Justine ! répétait-il en sanglotant, imagine, s’il se peut, toutes les peines que j’endure ! Tu me tiendras compte, n’est-ce pas, de ces heures dangereuses ? si près du bonheur !... Y renoncer, le repousser, Justine... Ah ! répète-moi, répète-moi que tout ce que j’ai perdu, je n’y ai renoncé que parce que tu le veux !

Un serrement de main transmettait sans le secours d’aucune parole, la confirmation de ce terrible arrêt, et le conseil de le subir avec courage.