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XI
EUGÈNE DELACROIX.

nalité. Personne n’ignore que, par une étrange ironie du sort, il fut élève de Guérin. Gros le reçut également dans son atelier. Dirons-nous que ces influences furent vaines ? Cela est trop évident : il obéissait à l’appel intérieur de la destinée et n’écoutait que son génie !

Si nous nous posons sur Delacroix la question que Sainte-Beuve considérait comme indispensable de résoudre dans l’étude biographique et critique d’un homme éminent : « Comment se comportait-il en matière d’amour ? Comment en matière d’amitié ? » le Journal du maître nous éclairera complètement. Les préoccupations amoureuses existent au début de sa carrière. Faut-il ajouter qu’elles sont sans conséquence ? Il n’est jamais indifférent de savoir si un homme, surtout un artiste, a connu le souci d’aimer ; mais ce qui est capital, c’est d’être fixé sur ce point : quelle partie de son être a été atteinte ? La tête, le cœur ou les sens ? Suivant que l’amour de tête, l’amour-sentiment ou l’amour sensuel prédominera, l’être intellectuel se trouvera modelé différemment et la réaction amoureuse influera diversement sur les productions de son esprit. De cette vérité psychologique, Stendhal, pour ne citer qu’un nom, a fourni la plus saisissante démonstration, car il est bien certain que, si l’amour de tête et l’amour-sentiment n’avaient pas tenu dans sa vie la place que nous savons, nous n’aurions ni Julien Sorel, ni Mme de Rénal, ni Mathilde de la Môle, ni Clélia Conti. Or, pour en revenir à Delacroix, il ne paraît pas que l’amour ait jamais gravement atteint la tête ou le cœur : il semble s’être limité exclusivement aux sens et s’être manifesté chez lui de telle manière qu’il ne pouvait ni influer sur son travail, ni contribuer à l’en détourner. En