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X
EUGÈNE DELACROIX.

plus heureuses, il ne se les rappelait qu’avec déplaisir. Je ne sais s’il eût souscrit à l’énergique parole de Bossuet : « L’enfance est la vie d’une bête » ; toujours est-il qu’il ne professait pas grand enthousiasme pour cette saison de la vie, et qu’il aboutit à une conclusion assez proche de celle de Bossuet, lorsque, exprimant son opinion sur la méchanceté de l’homme, il nous fait cette confidence : « Je me souviens que quand j’étais enfant, j’étais un monstre. La connaissance du devoir ne s’acquiert que très lentement, et ce n’est que par la douleur, le châtiment, et par l’exercice progressif de la raison, que l’homme diminue peu à peu sa méchanceté naturelle. »

Un de ses biographes s’est demandé avec candeur pourquoi Delacroix se fit peintre, et après avoir examiné successivement les différentes carrières qu’il aurait pu choisir, les emplois publics, l’industrie, le commerce, pour lesquels il lui semblait évidemment mal préparé, en vient à cette conclusion « qu’il ne lui restait plus qu’à s’abandonner à ses instincts d’indépendance ». Sans insister sur le côté légèrement naïf de cette observation, nous ferons remarquer que son auteur touchait du doigt la vérité, et donnait, sans s’en douter, la cause intime et profonde de la vocation du futur artiste, comme de toute grande vocation. Dans un des premiers cahiers du Journal, Delacroix rend grâce au ciel « de ne faire aucun de ces métiers de charlatan qui en imposent au genre humain ». Le secret de sa carrière d’artiste est tout entier dans cette phrase, qui explique en même temps ses aspirations d’indépendance et l’impuissance où demeurèrent toujours les artistes individuels et les écoles sur le développement de sa person-