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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

à une fureur qui faisait, disait-il, le plus grand effet. Elle mettait en lambeaux son mouchoir et jusqu’à ses gants ; voilà encore de ces effets auxquels un grand artiste ne descendra jamais. Ce sont ceux-là qui ravissent les loges et font à ceux qui se les permettent une réputation éphémère.

Le talent de l’acteur a cela de fâcheux qu’il est impossible, après sa mort, d’établir aucune comparaison entre lui et les rivaux qui lui disputaient les applaudissements de son vivant. La postérité ne connaît d’un acteur que la réputation que lui ont faite ses contemporains, et pour nos descendants, la Malibran sera mise sur la même ligne que la Pasta, et peut-être lui sera-t-elle préférée, si on tient compte des éloges outrés de ses contemporains. Garcia, en parlant de cette dernière, la classait dans les talents froids et compassés, plastiques, disait-il. Ce plastique, c’était l’idéal qu’il eût dû dire. À Milan, elle avait créé la Norma avec un éclat extraordinaire ; on ne disait plus la Pasta, mais la Norma ; Mme Malibran arrive, elle veut débuter par ce rôle ; cet enfantillage lui réussit. Le public, partagé d’abord, la mit aux nues, et la Pasta fut oubliée. C’était la Malibran qui était devenue la Norma, et je n’ai pas de peine à le croire. Les gens de peu d’élévation, et point difficiles en matière de goût, et c’est malheureusement le plus grand nombre, préféreront toujours les talents de la nature de celui de la Malibran.

Si le peintre ne laissait rien de lui-même, et qu’on