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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

la pièce. Le mauvais Don Juan (l’acteur) ! Est-ce l’exécution, le décousu qu’on met dans un ouvrage ancien ? Mais comme il grandit par le souvenir, et que, le lendemain, je me le suis rappelé avec bonheur ! Quel chef-d’œuvre de romantisme ! Et cela en 1785 ! L’acteur qui fait Don Juan ôte son manteau pour se battre avec le Père ; à la fin, ne sachant quelle contenance tenir, il se met à genoux devant le Commandeur ; je suis sûr qu’il n’y a pas deux personnes dans la salle qui s’en soient aperçues.

Je pensais à la dose d’imagination nécessaire au spectateur pour être digne d’entendre un tel ouvrage. Il me paraissait évident que presque tous les gens qui étaient là écoutaient avec distraction. Ce serait peu de chose ; mais les parties les plus faites pour frapper l’imagination ne les arrêtaient pas davantage. Il faut beaucoup d’imagination pour être saisi vivement au spectacle… Le combat avec le Père, l’entrée du Spectre frapperont toujours un homme d’imagination ; la plus grande partie des spectateurs n’y voient rien de plus intéressant que dans le reste.

10 février. — Hier 9, à quatre heures, j’ai été voir Mme Sand ; elle était souffrante. Revu sa fille et son gendre futur[1].

Aujourd’hui, il était plus de midi quand je suis

  1. Il ne peut être ici question, comme on pourrait le supposer, de Clésinger, car ce n’est qu’au mois de mai suivant que furent officiellement annoncées les fiançailles de Mlle Solange, fille de Mme Sand, avec le célèbre sculpteur. (Voir infra, p. 305 et 307.)