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XXIII
EUGÈNE DELACROIX.

du travail, cette illusion réconfortante qu’il est le maître et domine à son gré, reçoit un de ces vigoureux rappels à l’ordre qui lui remémorent son état d’irrémédiable esclavage : « Ô triste destinée ! Désirer sans cesse mon élargissement, esprit que je suis, logé dans un mesquin vase d’argile. » Les mêmes motifs qui l’ont fait déplorer l’asservissement de l’être humain en apparence le plus détaché des liens de la matière, l’amènent à envisager avec une sorte de tristesse résignée la variabilité, l’incertitude de la production. Il compare entre eux ces enfants doués d’une imagination supérieure à celle des hommes faits, ces artistes qui ne peuvent travailler que sous l’influence de l’opium ou du haschisch ; — il était ami de Boissard, le maître du salon où avaient lieu les séances du club des « Haschischins », si minutieusement décrites par Th. Gautier et rappelées dans la préface des Fleurs du mal, séances au cours desquelles, on s’en souvient, des écrivains et des artistes s’intoxiquaient de ces dangereuses substances, puis observaient sur eux-mêmes et leurs voisins l’effet produit. Pour d’autres, il remarque que la simple inspiration journalière suffit ; peut-être songeait-il à Balzac qui avait toujours refusé de se soumettre à ces expériences, se contentant d’en noter le résultat sur autrui. En ce qui le concerne, Delacroix estime qu’une demi-ivresse lui est assez favorable. Là encore il constate que nous ne sommes que des machines, machines d’un ordre supérieur, munies de rouages plus délicats, plus compliqués que celles que nous inventons, mais dont le fonctionnement demeure un inquiétant et insoluble problème.

Delacroix, nous l’avons vu, était intimement convaincu