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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

suis fort bien en train de peindre. Le soir, dîné chez Mme de Forget.

Mardi 19 février. — Dîné avec Chenavard, Meissonier. — Parlé du voyage qui, j’espère, ne se fera pas. (Voir au 31 janvier précédent.)

Chez Berlioz ensuite ; l’ouverture de Léonore m’a produit la même sensation confuse ; j’ai conclu qu’elle est mauvaise, pleine, si l’on veut, de passages étincelants, mais sans union. Berlioz de même : ce bruit est assommant ; c’est un héroïque gâchis.

Le beau ne se trouve qu’une fois et à une certaine époque marquée. Tant pis pour les génies qui viennent après ce moment-là. Dans les époques de décadence, il n’y a de chance de surnager que pour les génies très indépendants. Ils ne peuvent ramener leur public à l’ancien bon goût qui ne serait compris de personne ; mais ils ont des éclairs qui montrent ce qu’ils eussent été dans un temps de simplicité. La médiocrité dans ces longs siècles d’oubli du beau est bien plus plate encore que dans les moments où il semble que tout le monde puisse faire son profit de ce goût du simple et du vrai qui est dans l’air. Les artistes plats se mettent alors à exagérer les écarts des artistes mieux doués, ce qui est la platitude à force d’enflure, ou bien ils s’adonnent à une imitation surannée des beautés de la bonne époque, ce qui est le dernier terme de l’insipidité. Ils remontent même en deçà. Ils se font naïfs avec les artistes qui ont précédé les