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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

de lui faire comprendre cet avantage, mais l’absurde l’emportera, comme infiniment plus… fashionable.

Girardin[1] croit toujours fermement à l’avènement du bien-être universel, et l’un des moyens de le produire, sur lequel il revient avec prédilection, c’est le labourage à la mécanique, et sur une grande échelle, de toutes les terres de France. Il croit grandement contribuer au bonheur des hommes, en les dispensant du travail ; il fait semblant de croire que tous ces malheureux, qui arrachaient leur nourriture à la terre, péniblement, j’en conviens, mais avec le sentiment de leur énergie et de leur persévérance bien employée, seront des gens bien moraux et bien satisfaits d’eux-mêmes, quand ce terrain, qui était au moins leur patrie, celle sur laquelle naissaient leurs enfants et dans laquelle ils enterraient leurs parents, ne sera plus qu’une manufacture de produits, exploitée par les grands bras d’une machine, et laissant la meilleure partie de son produit dans les mains impures et athées des agioteurs. La vapeur s’arrêtera-t-elle devant les églises et les cimetières ?… Et le Français qui rentrera dans sa patrie après plusieurs années, serait-il réduit à demander la place où étaient son village et le tombeau de ses pères ? Car les villages seront inutiles comme le reste ; les villageois sont ceux qui cultivent la terre, parce qu’il faut bien

  1. Émile de Girardin avait été compris, après le 2 décembre, dans une liste des représentants expulsés du territoire français et avait obtenu, deux mois après son bannissement, de reparaître en France.