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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

demeurer là où les soins sont réclamés à toute minute ; il faudra faire des villes proportionnées à cette foule désœuvrée et déshéritée, qui n’aura plus rien à faire aux champs ; il faudra leur construire d’immenses casernes où ils se logeront pêle-mêle. Que faire là, les uns près des autres, le Flamand auprès du Marseillais, le Normand et l’Alsacien, autre chose que consulter le cours du jour, pour s’inquiéter, non pas si dans leur province, dans leur champ chéri, la récolte a été bonne, non pas s’ils vendront avec avantage leur blé, leur foin, leur vendange, mais si leurs actions sur l’anonyme propriété universelle montent ou descendent ? Ils auront du papier, au lieu d’avoir du terrain !… Ils iront au billard jouer ce papier contre celui de ces voisins inconnus, différents de mœurs et de langage, et quand ils seront ruinés, auront-ils au moins cette chance qui leur restait, quand la grêle avait détruit les fruits ou les moissons, de réparer leur infortune à force de travail et de constance, de puiser au moins dans la vue de ce champ arrosé tant de fois de leurs sueurs, un peu de consolation ou l’espoir d’une meilleure année ?…

O indignes philanthropes !… O philosophes sans cœur et sans imagination ! Vous croyez que l’homme est une machine, comme vos machines ; vous le dégradez de ses droits les plus sacrés, sous prétexte de l’arracher à des travaux que vous affectez de regarder comme vils, et qui sont la loi de son être, non pas seulement celle qui lui impose de créer lui-