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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

vient presque de la crudité : en un mot, c’est un effet extraordinaire qui est sous nos yeux plutôt qu’un objet naturel. Ces figures détachées si singulièrement ressemblent à des fantômes et à des apparitions plus qu’à des hommes. Cet effet ne se produit que trop de lui-même, par l’effet du rembrunissement des couleurs par le temps. Les couleurs obscures deviennent plus obscures encore en proportion des couleurs claires qui conservent plus d’empire, surtout si les tableaux ont été fréquemment dévernis et revernis. Le vernis s’attache aux parties sombres et ne s’en détache pas facilement ; l’intensité dans les parties noires va donc toujours en s’augmentant ; de sorte qu’un fond qui n’aura présenté, dans la nouveauté de l’ouvrage, qu’une médiocre obscurité, deviendra avec le temps d’une obscurité complète. Nous croyons, en copiant ces Titien, ces Rembrandt, faire les ombres et les clairs dans le rapport où le maître les avait tenus ; nous reproduisons pieusement l’ouvrage ou plutôt l’injure du temps. Ces grands hommes seraient bien douloureusement surpris en retrouvant des croûtes enfumées, au lieu de leurs ouvrages, comme ils les ont faits. Le fond de la Descente de croix de Rubens, qui devait être un ciel très obscur à la vérité, mais tel que le peintre a pu se le figurer dans la représentation de la scène, est devenu tellement noir qu’il est impossible d’y distinguer un seul détail…

On s’étonne quelquefois qu’il ne reste rien de la