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Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/463

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Sorti de là enchanté ; désolé de la difficulté de rendre, sans prendre sur nature, non pas le sentiment, mais les lignes et perspectives compliquées, projections d’ombres, etc., qui faisaient de ce que j’ai vu le plus magnifique tableau.

Pris par les bains, la plage. Écho lointain de l’ignoble musique de l’établissement, pendant que la lune se levait de l’autre côté. Je suis resté sur la plage pendant plus d’une heure, ravi de ma soirée paisible et de la tranquillité qu’elle communiquait à mes esprits.

J’ai été rejoindre Jenny à la jetée vers dix heures.

Chenavard me raconte l’histoire de Papety[1], au club des Versaillais… Un de ces messieurs monte à la tribune et dit avec l’accent du terroir et d’une voix de tonnerre : « Citoyens ! » Après un moment de silence, il répète encore son : « Citoyens ! » et après une nouvelle pause, et regardant son auditoire : « Citoyens ! je ne sais plus ce que je voulais vous dire », et il se retire. Un voisin de Papety s’adresse à lui et lui dit d’un air pénétré : « C’est bien heureux que nous soyons ici en famille ! »

13 septembre. — Entré le soir dans Saint-Remy une seconde fois.

  1. Papety (1815-1849), peintre, élève de Cogniet. En 1836, il obtint le grand prix de peinture et partit pour Rome. Ses premières œuvres, très remarquées, faisaient présager pour l’artiste un brillant avenir. La mort le frappa à trente-quatre ans, en plein talent et au moment où il allait écrire l’histoire de l’art byzantin, d’après des notes et des documents archéologiques rapportés d’Orient.