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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/118

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Petit dîner, agréable comme toujours, quoique plus silencieux, au moins de ma part ; le soir, je sors avec une légère mauvaise humeur ; je vais seul me promener dans la grande rue ; je me couche à neuf heures. Je recule toujours de jour en jour ma visite à la Belge et à l’Anglais que j’ai rencontrés dans le chemin de fer ; j’ai la bonté de me faire un scrupule de ne point aller les voir.

— Je ne puis exprimer le plaisir que j’ai eu à revoir ma Jenny[1]. Pauvre chère femme ! Je retrouve sa petite figure maigre, mais les yeux pétillants du bonheur de trouver à qui parler ; je reviens à pied avec elle, malgré le mauvais temps ; je suis pendant plusieurs jours, et probablement j’y serai tout le temps de mon séjour à Dieppe, sous le charme de cette réunion au seul être dont le cœur soit à moi sans réserve.

9 octobre. — Je me lève plus tard ; je ne fais point ma barbe et je ne sors point ; je fais faire du feu ; j’essaye d’arrêter mon rhume à ses débuts. Je trouve charmant d'être venu à Dieppe pour ne pas sortir de ma chambre ; heureusement que mon imagination ne laisse pas de voyager : je passe de mes gravures à ce petit livre. Eh ! n’est-ce pas voyager que d’avoir sous ses fenêtres le spectacle le plus animé ? Je satisfais ici ce goût que j’ai toujours eu pour le repos corporel,

  1. Jenny le Guillou avait pour son maître l’attachement obstiné et jaloux d’un chien fidèle. Lors des derniers moments du peintre, ses amis se plaignirent amèrement d’avoir été tenus écartés par elle.