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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/169

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Cette soif d’acquérir des richesses, qui donneront si peu de jouissance, aura fait de ce monde un monde de courtiers. On dit que c’est une fièvre qui est aussi nécessaire à la vie des sociétés, que la vraie fièvre l’est au corps humain dans certaines maladies et au dire des médecins.

Quelle est donc cette maladie nouvelle que n’ont point connue tant de sociétés éclipsées aujourd’hui et qui ont pourtant étonné le monde par les grandes et véritablement utiles entreprises, par des conquêtes dans le domaine des grandes idées, par de vraies richesses employées à augmenter la splendeur des États et à relever à leurs yeux les sujets de ces États ? Que n’emploie-t-on cette activité impitoyable à creuser de vastes canaux pour l'écoulement de ces inondations fatales qui nous consternent, ou pour élever des digues capables de les contenir ! C’est ce qu’a fait l’Égypte, qui a discipliné les eaux du Nil et opposé les Pyramides à l’envahissement des sables du désert ; c’est ce qu’ont fait les Romains, qui ont couvert le monde ancien de leurs routes, de leurs ponts et aussi de leurs arcs de triomphe.

Qui élèvera une digue aux mauvais penchants ? Quelle main fera rentrer dans leur lit le débordement des passions viles ? Où est le peuple qui élèvera une digue contre la cupidité, contre la basse envie, contre la calomnie, qui flétrit les honnêtes gens dans le silence ou dans l’impuissance des lois ? Quand cette autre machine, la presse impitoyable, sera-t-elle