Aller au contenu

Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

traits : il semble que pas un ne soit indifférent. Pour des yeux intelligents, la vie déjà est partout, et rien dans le développement de ce thème en apparence si vaille ne s'écartera de cette conception à peine éclose au jour et complète déjà.

Il est des talents accomplis qui ne présentent pas la même vivacité ni surtout la même clarté dans cette espèce d'éveil de la pensée à la lumière ; chez ces derniers, l’exécution est nécessaire pour arriver à l’imagination du spectateur. En général, ils donnent beaucoup à l’imitation. La présence du modèle leur est indispensable pour assurer leur marche. Ils arrivent par une autre voie à l’une des perfections de l’art.

En effet, si vous ôtez à un Titien, à un Murillo, à un Van Dyck la perfection étonnante de cette imitation de la nature vivante, cette exécution qui fait oublier l’art et l’artiste, vous ne trouvez dans l’invention du sujet ou dans sa disposition qu’un motif souvent dénué d’intérêt pour l’esprit, mais que le magicien saura bien relever par la poésie de son coloris et les prodiges de son pinceau. Le relief extraordinaire, l’harmonie des nuances, l’air et la lumière, toutes les merveilles de l’illusion, s'étaleront sur ce thème dont l’esquisse froide et nue ne disait rien à l’esprit.

Qu’on se figure ce qu’a pu être la première pensée de l’admirable tableau des Pèlerins d’Emmaüs, de Paul Véronèse : rien de plus froid que cette disposition, refroidie encore par la présence de ces per-