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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/246

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

sonnages étrangers à la scène, de cette famille des donateurs qui se trouve là, en effet, par la plus singulière convention, de ces petites filles en robe de brocart jouant avec un chien dans l’endroit le plus apparent du tableau, de tant d’objets, costumes, architecture, etc., contraires à la vraisemblance !

Voyez, au contraire, dans Rembrandt, le croquis de ce sujet qu’il a traité plusieurs fois et avec prédilection ; il fait passer devant nos yeux cet éclair qui éblouit les disciples au moment où le divin Maître se transfigure en rompant le pain : le lieu est solitaire ; point de témoins importuns de cette miraculeuse apparition ; l'étonnement profond, le respect, la terreur se peignent dans ces lignes jetées par le sentiment sur ce cuivre, qui se passe, pour vous émouvoir, du prestige de la couleur.

Dans le premier coup de pinceau que Rubens donne à son esquisse, je vois Mars ou Bellone ; les Furies secouant leur torche aux lueurs sinistres, les divinités paisibles s'élançant en pleurant pour les arrêter ou s’enfuyant à leur approche ; les arcs, les monuments détruits, les flammes de l’incendie. Il semble dans ces linéaments à peine tracés que mon esprit devance mon œil et saisisse la pensée avant presque qu’elle ait pris une forme. Rubens trace la première idée de son sujet avec son pinceau, comme Raphaël ou Poussin avec leur plume ou leur crayon. Malheur à l’artiste qui finit trop tôt certaines parties de l'ébauche ! Il faut une bien grande sûreté pour ne